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Analyse de deux arrêts rendus en matière de procédure administrative non contentieuse : quelles implications pour les communes ?
Dans deux arrêts récents, la Cour administrative est venue réaffirmer avec vigueur les principes généraux réglementant la procédure administrative non contentieuse (ci-après PANC) tels que prévus par la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et par son règlement grand-ducal d’application du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes (ci-après le règlement grand-ducal du 8 juin 1979), destinés à garantir la participation de l’administré à la prise de la décision administrative. Ces arrêts ayant des implications concrètes pour les administrations communales, le SYVICOL a procédé à leur analyse.
Le premier arrêt, rendu le 3 mai 2022 (n°46817C du rôle), rappelle et insiste sur le droit de l’administré, découlant de l’article 9 in fine du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, d’être entendu en personne par l’administration qui se propose de prendre une décision à son égard. Dans le cas d’espèce, la Commission de surveillance du secteur financier (ci-après la CSSF) avait pris deux décisions prononçant une amende d’ordre à l’encontre de l’administrateur d’une société d’investissement, décisions contre lesquelles il a fait introduire un recours en réformation. Si la Commission de surveillance du secteur financier a eu gain de cause en première instance, la Cour a, quant à elle, accueilli le moyen de l’appelant tiré de la violation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, plus précisément par rapport au fait que la CSSF aurait dû l’avertir de son droit d’être entendu en personne dans le délai imparti pour présenter ses observations s’il en faisait la demande.
Pour arriver à cette conclusion, la Cour a retenu que « Dans ce contexte général, force est à la Cour de retenir que les dispositions de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne se trouvent pas utilement respectées par l'indication faite par une administration à un administré qu'il avait la possibilité de présenter ses observations dans un délai imparti à condition qu'il soit au moins de 8 jours, ni encore en adjoignant un renvoi à l'article 9 en question, tel que la CSSF l'a fait à un double titre dans la présente affaire, mais que, de manière impérative, face à cette évolution a priori difficilement réversible de déshumanisation des rapports entre administration et administrés, il aurait fallu que l'administration rende spécialement attentif l'administré concerné de sa possibilité de demander d'être entendu en personne, à condition de le faire dans ledit délai imparti, tel que ce droit se trouve précisément consacré par l'article 9 in fine en question, en application de l'article 1er, alinéas 2 et 3, de la loi habilitante du 1er décembre 1978 qui impose que soient assurés la participation la plus large possible à la prise de la décision et le droit de l'administré d'être entendu (« Recht auf Gehör ») ».
La solution ainsi dégagée a donc bien une portée générale qui intéresse au plus haut point les administrations communales. On ne peut donc que s’étonner de la réponse ministérielle à la question parlementaire n°6201, selon laquelle « il s’agit d’un premier arrêt en ce sens suite à un jugement de première instance et il reste à voir si cet arrêt demeure une décision de pure espèce ou s’il sera confirmé ultérieurement ». Une lecture approfondie de cet arrêt montre bien le souci et la détermination des juges de la Cour administrative de réaffirmer avec force les règles essentielles et fondatrices de la procédure administrative non contentieuse, ayant vocation à régler le plus tôt possible les litiges entre l’administration et l’administré, et que les évolutions sociologiques et techniques opérées ces quarante dernières années ont mis à mal.
La question qui se pose désormais pour les communes est celle de savoir dans quelle mesure celles-ci devront rendre l’administré « spécialement attentif » à son droit d’être entendu en personne. A priori, une reproduction de l’article 9 dans son intégralité – et non un simple renvoi - dans la décision prise par la commune semble désormais être la règle, mais faut-il être encore plus précis ? Les administrations communales pourraient, sans pêcher par excès de zèle, utiliser la formulation suivante :
« Conformément au règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, nous vous invitons à nous faire parvenir vos observations éventuelles par rapport à la présente décision endéans la huitaine de la date de réception de la présente lettre. Vous avez le droit, si vous en faites la demande endéans ce délai, d’être entendu en personne. »
Dans ce contexte, il serait très certainement utile d’indiquer la personne responsable en vue d’une prise de contact par l’administré.
Un second arrêt (n°46929C du rôle) intervenu dans la même matière une semaine plus tard, le 12 mai 2022, permet de tirer des enseignements tout aussi intéressants. En résumé, la Cour administrative a décidé, en se fondant sur l’article 5, alinéa 2 et suivants, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, que le bourgmestre a l’obligation d’informer ex ante les tiers intéressés du dépôt d’une demande d’autorisation de construire en procédant soit à l’affichage, soit à la notification individuelle de la demande d’autorisation en temps utile.
Pour réformer le jugement de première instance, la Cour a réexaminé les travaux parlementaires ayant mené à l’adoption de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, et notamment l’article 37, et a retenu que le législateur n’a nullement eu l’intention de remettre en cause, en matière d’urbanisme communal, l’information préalable et précontentieuse de l’ouverture de la procédure telle que prévue par l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. La Cour note ainsi que « De manière générale, la Cour se doit de souligner que précisément en matière d’urbanisme communal, la nécessité d’un dialogue avec une possibilité de prise de participation des personnes intéressées à la décision à prendre est des plus importantes. Ceci est d’autant plus important dans un contexte où, sociologiquement, la pandémie y aidant encore, les personnes sont amenées à se replier de plus en plus sur soi et à éviter ainsi plus souvent que jamais les échanges permettant précisément, à travers des discussions à mener, en vue de trouver des solutions dans l’intérêt d’un meilleur vivre ensemble et de relations de voisinage optimisées ». Elle poursuit en expliquant que « C’est manifestement l’information ex ante qui rend possible l’objectif valablement visé par l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 en ses alinéas 2 et 3, en ce qu’elle permet seule d’assurer la défense des administrés, voisins en l’occurrence, de leur permettre de participer à leur tour à la prise de la décision, c’est-à-dire l’autorisation à délivrer, en proposant des éléments de participation valables, démarche qui présuppose un accès aux informations et, de manière basique, une information sur l’ouverture de la demande d’autorisation. »
Selon la Cour, l’affichage de la demande d’autorisation ou d’un renseignement suffisant concernant l’existence de pareille demande et la possibilité de tout intéressé de la consulter à un endroit donné avec possibilité de faire valoir ses observations doit être possible dans une très large majorité des cas, soit par voie d’affichage, soit par voie de notification individuelle.
Cet arrêt impose donc de rendre systématiquement publique toute demande d’autorisation, sous peine d’encourir l’annulation de l’autorisation délivrée pour non-respect de l’article 5 précité. Cette publicité sera à effectuer par voie d’affichage du dépôt de la demande d’autorisation de construire sur les lieux, avec l’information de savoir où l’intéressé peut venir consulter les plans de construction. Cette solution s’impose étant donné qu’il peut être difficile de cerner avec exactitude le périmètre des tiers intéressés. Cet affichage pourra cependant toujours, pour davantage de sécurité juridique, être complété par une notification individuelle à un administré lorsque la commune a connaissance de son intérêt à être informé du projet.
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